Décentralisation - ENQUÊTE - SPÉCIAL TECHNOLOGIA
Claire Chevrier, 01 Informatique n°1935, 07 Février 2008
Les TIC, nouveaux outils d'aménagement du territoire
Les collectivités locales réalisent que développer une infrastructure haut débit et des services numériques innovants peut leur permettre d'accroître l'attractivité de leur territoire.
Internet serait aujourd'hui le média dont les Français sont le moins disposés à se passer, et entreprises et ménages réclament tous du haut débit. Les collectivités qui, depuis 2005, sont autorisées à bâtir des réseaux d'initiative publique (RIP), déploient à tour de bras des infrastructures pour desservir leur territoire et rester dans la course, sinon prendre une longueur d'avance. Certaines construisent des backbones IP, d'autres tentent de couvrir les zones blanches GSM (en finançant les pylônes aux opérateurs), ou de compléter la couverture ADSL grâce au Wimax, au courant porteur en ligne, aux NRA ZO (offre de nœuds de raccordement d'abonnés en zone d'ombre de France Télécom), etc. A la fin de l'année 2007, 100 RIP étaient en projet ou déjà exploités, soit un investissement public cumulé de près de 1 milliard d'euros.
Ces investissements, outre qu'ils font baisser les prix et diversifient les offres de services en introduisant plus de concurrence, créent de l'activité. « Un euro d'argent public investi génère trois euros d'investissements privés sur le territoire », affirme Philippe Le Grand, directeur de Manche numérique, syndicat mixte qui a déployé un réseau haut débit couvrant 100 % des habitants du département. Cependant, « le haut débit est devenu une commodité comme le gaz ou l'électricité. Si, dans certains territoires, son infrastructure est un des éléments qui fait la différence pour le choix d'implantation d'une entreprise, dans beaucoup d'autres, elle est devenue un prérequis », constate Maxence Perret, responsable collectivités territoriales au sein de Capgemini.
Salles blanches et serveurs mutualisés
Les collectivités les plus en avance réfléchissent déjà à la prochaine étape : la fibre optique jusqu'au domicile des abonnés. Certaines, telle la communauté d'agglomération de Castres-Mazamet, jugent que cela ne suffit pas. Intermédiasud, la société d'économie mixte qui gère le réseau de la communauté, propose donc aux opérateurs et entreprises locales une salle blanche où chacun peut héberger ses serveurs, ainsi qu'une offre internet multi-opérateurs lui permettant de garantir un taux de disponibilité de 99,9 % et des prix proches de ceux de la région parisienne. Suite à ces investissements, plusieurs entreprises se sont implantées, comme Devoteam ou Media Presse 81, une PME irlandaise ayant besoin de très hauts débits à l'international. Récemment, le groupe Banque Populaire a annoncé qu'il avait retenu Castres-Mazamet pour implanter ses deux centres de données, soit un investissement de 70 millions d'euros. « Sur ce projet, nous étions en concurrence avec de grosses agglomérations comme Lyon, Toulouse ou Nantes. Nous récoltons les fruits d'un pari fait il y a dix ans, dans un lieu improbable et éloigné de tout, mais qui finalement séduit », se réjouit Thierry Bardy, directeur général d'Intermédiasud. Les services de la technopole estiment que plus de 500 emplois ont été créés (hors projet Banque Populaire) grâce au réseau haut débit et à la plate-forme de services. Par ailleurs, un département d'IUT spécialisé en réseaux et télécoms et une école d'ingénieurs se sont aussi installés, ce qui va dynamiser encore plus le secteur.
La communauté d'agglomération de Bayonne-Anglet-Biarritz est allée encore plus loin, puisque, via son délégataire Aditu, elle assure actuellement l'exploitation de 200 serveurs. Son objectif est de renforcer sa technopole Izarbel et d'éviter aux entreprises TIC (technologies de l'information et de la communication) du territoire de devoir investir chacune dans une infrastructure. Aujourd'hui, 70 sociétés locales utilisent la plate-forme pour délivrer des prestations à plus de 3 500 clients dans tout le Sud-Ouest. En s'appuyant sur la crédibilité d'Aditu, des PME basques ont pu remporter des marchés auprès de grands comptes toulousains de l'aéronautique. Coût de l'opération pour la collectivité : 830 000 euros.
Créer une dynamique régionale
Pour attirer de nouvelles entreprises, il faut communiquer. Un simple site vitrine vantant la douceur de vivre du territoire ne suffit plus. Les régions, les départements ou les agglomérations tentent de rassembler toute l'information utile aux entreprises souhaitant s'implanter ou se développer chez elles. Ainsi, sur lyonbusiness.org, le Grand Lyon publie des annuaires professionnels et des cartes, offre une liste des services aux entreprises et répertorie les zones d'activités de chaque commune de l'agglomération… Sur le site J'entreprends en Bourgogne, le conseil régional de ce territoire recense toutes les ressources dont peuvent bénéficier les entreprises pour créer et développer leur activité. Et, fin du fin, grâce à ce portail, les sociétés ne déposent plus qu'un seul dossier en ligne pour toutes leurs demandes d'aides, et non plus un dossier auprès de chaque organisme sollicité. De plus, elles peuvent y suivre l'avancement de leurs dossiers. De son côté, Manche numérique est en train d'identifier tous les acteurs de la filière numérique et recenser les besoins des entreprises du département quitte, en cas de carence, à solliciter des entreprises d'autres régions. La collectivité prévoit même de mettre sur pied des plates-formes d'intermédiation (des places de marché) pour mettre en relation offreurs et demandeurs.
Pour soutenir les TPE et PME de leur territoire, certaines collectivités ont décidé de sensibiliser les chefs d'entreprises à ce que pourrait leur apporter une meilleure utilisation des TIC. En effet, si 75 % des TPE sont informatisées, leur emploi des TIC reste basique. Dommage, quand on sait que 45 % des gains de productivité que peuvent réaliser ces structures sont directement liés à l'introduction d'outils numériques. C'est dans cet esprit que l'Espace numérique entreprises, créé par le Grand Lyon avec un budget de 1,3 million d'euros en 2007, aide les PME qui souhaitent faire évoluer leur système d'information améliorer leurs processus internes (via des PGI ou des logiciels de comptabilité, par exemple) ou leur relation client. Son programme Oree (Opération régionale pour l'entreprise étendue) permet aux TPE et PME sous-traitantes de la région d'utiliser gratuitement ses plates-formes de travail collaboratif et de PLM (gestion du cycle de vie des produits) avec leurs clients et leurs fournisseurs. Un chef de projet les aide à tirer le meilleur profit de ces outils, quitte à repenser leur mode de fonctionnement. Depuis septembre 2004, Oree a assisté 23 groupements, soit 166 entreprises et 450 utilisateurs. Sa plate-forme est également utilisée par neuf pôles de compétitivité régionaux (1 100 personnes ).
Des infrastructures pour les particuliers
Par ailleurs, les collectivités investissent beaucoup pour soutenir la création d'entreprises innovantes et le développement de la recherche. On peut citer l'Auvergne, qui ouvre aux entreprises sa grille de calcul Auvergrid ; Marseille innovation, un réseau de pépinières d'entreprises technologiques ; ou encore le Normandy Living Lab qui va tester sur l'agglomération de Caen des services mobiles sans contact.
Même si elles courtisent en priorité les entreprises, les collectivités n'en oublient pas pour autant les particuliers. Certaines d'entre elles tentent notamment de développer le télétravail. Le conseil général du Cantal, par exemple, prévoit d'ouvrir sept télécentres. Le premier a été inauguré en décembre dernier, dans la communauté de communes de Murat. Il offre aux télétravailleurs déjà en activité la possibilité de rompre leur isolement. Actuellement, une trentaine de personnes bénéficie de sa salle multimédia et de ses équipements de visioconférence. Une demi-journée de présence est facturée 15 euros, un bureau permanent 200 euros par mois. L'objectif du télécentre est également d'accueillir de nouveaux actifs et de les aider à poursuivre ou à développer leur activité. Enfin la directrice, Corinne Ibarra, souhaite conclure des accords avec des entreprises qui souhaiteraient y domicilier leurs propres télétravailleurs. Les collectivités utilisent aussi les hauts débits pour rompre l'isolement géographique de certains territoires, souvent délaissés par les permanences administratives. La Manche, l'Auvergne et la Sarthe déploient ainsi des bornes de visio-conférence équipées d'un scanner et d'une imprimante qui permettent aux habitants d'avoir des rendez-vous avec l'ANPE, la CAF, la CPAM, la MSA, etc., et d'envoyer et recevoir des documents, sans devoir faire des dizaines de kilomètres.
Enfin, pour conserver ses administrés, il faut avoir des médecins. C'est pourquoi Manche numérique soutient la création de Manche santé, un portail communautaire qui devrait permettre aux praticiens manchois d'échanger avec leurs pairs. La formation à distance des populations via le e-learning ainsi que le maintien à domicile des personnes âgées sont également des thèmes sur lesquels travaillent conseils généraux et régionaux. On le voit, les collectivités les plus avancées ont intégré la dimension TIC dans tous leurs projets afin d'améliorer leurs services et de renforcer leur attractivité.
Quatre moyens d'attirer entreprises et ménages
- Améliorer la couverture des réseaux
Le conseil général de la Haute-MarnePour réduire les zones blanches, il a déjà financé plus de 70 pylônes GSM. Il voudrait aujourd'hui compléter la couverture haut débit avec du Wimax. - Rapprocher citoyens et administrations
Le conseil général de la mancheA la fin 2008, 30 bornes visiorelais permettront aux habitants des lieux isolés de bénéficier, à moins de 10 minutes de chez eux, de 80 % des services publics. - Héberger les serveurs des entreprises locales
L'agglomération de castres – MAZAMET (TARN)Elle propose des salles blanches sécurisées pour installer des serveurs. Ses accès internet multi-opérateurs ne sont que 15 % plus chers qu'à Paris. - Encourager le télétravail
La communauté de communes de Murat (Cantal)Elle a ouvert un télécentre où travailleurs indépendants et salariés rompent leur isolement, tout en bénéficiant d'équipements de visio-conférence et d'outils multimédias.
Questions / Réponses
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Pourquoi les collectivités s'intéressent aux TIC ?
Elles les voient comme un outil d'aménagement du territoire. Et s'en emparent pour répondre à une situation de crise (des entreprises qui partent, une filière qui va mal…) et relancer l'économie locale. Elles peuvent aussi vouloir prendre une longueur d'avance sur les territoires concurrents, ou les rattraper. Enfin, une collectivité s'intéresse au sujet lorsqu'entreprises et ménages lui réclament de nouveaux services.Quels types de collectivités agissent ?
Surtout les départements, notamment parce qu'ils ont des budgets importants. Les conseils régionaux, eux, tentent de coordonner les actions qui sont menées par les différentes collectivités de leur territoire. Conseils généraux et régionaux s'intéressent principalement aux problèmes de fracture numérique. Les villes et les agglomérations sont aussi très actives. Pour accroître leur attractivité par rapport à d'autres agglomérations françaises ou européennes.Quels sont leurs moyens d'action ?
Elles peuvent lancer des appels d'offres ou de projets, subventionner des initiatives, apporter leurs compétences à des associations ou à des collectivités plus petites, animer des réseaux, etc.Jusqu'où peuvent-elles aller dans leur action ?
La limite à ne pas franchir est souvent difficile à définir clairement. Cependant, l'intervention des collectivités doit être neutre et favoriser la concurrence. Leur action ne doit pas tuer des initiatives privées existantes.
Sophie Rognon (conseil régional d'Auvergne) : « les TIC sont aussi importantes que le TGV pour désenclaver l'Auvergne »
- « Aujourd'hui, l'ADSL couvre 96 % des foyers auvergnats, mais ce n'est pas satisfaisant. Car avoir une offre haut débit est déterminant pour attirer de nouveaux ménages, des entreprises, des télétravailleurs, etc. La région et les quatre conseils généraux investissent 22 millions – sur une enveloppe globale de 38 millions – pour que d'ici avril 2009, 99,6 % des foyers aient l'ADSL et le choix de leur fournisseur d'accès internet et que 70 % d'entre eux soient éligibles aux 8 Mbits. Pour cela, nous déployons 860 kilomètres supplémentaires de fibre optique. Par contre, raccorder toutes les entreprises et les 720 000 foyers d'Auvergne en très haut débit coûterait 1,5 milliard. C'est hors de notre portée à moyen terme ! Aussi, nous travaillons sur un scénario qui, pour 75 millions d'euros, raccorderait les zones d'activités à caractère régional et départemental et améliorerait les débits à 25 kilomètres à la ronde. Sur ces dossiers, la concertation avec les autres collectivités de la région est le seul moyen d'atteindre une taille critique, de réaliser des économies d'échelle et de garantir une péréquation territoriale. »
Philippe Le Grand (Syndicat mixte Manche numérique) : « développer l'économie numérique permet d'accroître le PIB de son département de 25 à 30 % »
- « Grâce à l'infrastructure que nous avons déployée, la totalité du département est couvert par le haut débit. En septembre dernier, 51,1 % des Manchois l'utilisaient chez eux, contre 46,7 % des Français. Des études montrent que développer l'économie numérique permet d'accroître le PIB du département de 25 à 30 %, notamment en facilitant le rapprochement de l'offre et de la demande. Pour contribuer au développement de la filière numérique, nous allons mettre en place dès la rentrée prochaine une structure avec salle blanche et outils de visioconférence pouvant accueillir sept entreprises innovantes. Deux autres sites suivront. Entre 2008 et 2011, nous allons aussi former 30 % des entreprises manchoises aux usages du numérique. Et pour pallier le morcellement de l'offre, nous réfléchissons à une place de marché, où les PME pourraient publier leurs besoins et les fournisseurs locaux leur répondre. »
L'avis de l'expert
Serge Bergamelli, directeur du département développement numérique des territoires de la Caisse des dépôts
« Un développement des TIC à plusieurs vitesses »
« Depuis le début des années 2000, les efforts des collectivités en termes de TIC sont massifs. Mais ils sont mal connus, car ils ne font pas l'objet d'un pilotage central unique. L'Etat n'a pas transféré ses compétences dans le domaine du développement numérique. Les élus et les administratifs étant diversement exposés aux TIC, il existe un décalage dans la maîtrise des enjeux et la mise en œuvre de réalisations. Il y a donc un développement à plusieurs vitesses selon les territoires français, et un rapport aux technologies inégal. »
« Les collectivités ont du mal à définir une stratégie »
« La compréhension des enjeux du numérique n'est pas limpide pour toutes les collectivités. Faute de compétences en interne, certaines confondent trop souvent stratégie numérique et projet informatique. Les maîtrises d'ouvrage publiques doivent se renforcer pour savoir quels services elles souhaitent déployer et, ainsi, faire du numérique un réel outil d'attractivité de leur territoire. »
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